Crypto-actifs : réticences des milieux bancaires et institutionnels
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Les principaux reproches dont les crypto-actifs font l’objet sont liés aux questions de traçabilité et d’usage des fonds, ainsi qu’à l’anonymat qui entoure les opérateurs de transactions, faisant craindre aux institutions un risque d’utilisation à des fins criminelles, de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme.
Ceci donne lieu à de nombreuses difficultés bancaires pour les acteurs de l’écosystème. Cependant, nombre d’entre eux témoignent d’une envie d’accompagnement accru, et plusieurs « bonnes pratiques » émergent afin de renforcer la confiance entre acteurs institutionnels, acteurs économiques et investisseurs.
Plusieurs risques entourent en effet l’utilisation des crypto-actifs, comme c’est par ailleurs le cas pour tout type d’actif.
Au-delà des éléments évoqués précédemment, concernant le risque de concurrence entre monnaies, la Banque centrale européenne (BCE) a relevé trois défis potentiels relatifs aux crypto-actifs du point de vue des banques centrales :
– la stabilité des prix : les crypto-actifs pourraient-ils avoir un impact sur la politique monétaire et la stabilité des prix ?
– la stabilité financière : les crypto-actifs pourraient-ils compromettre la stabilité financière ?
– la stabilité du système de paiement : les crypto-actifs peuvent-ils avoir un impact sur la stabilité du système de paiement, dans la mesure où les utilisateurs participent directement audit système, en étant confrontés directement aux risques (risque de crédit, risque de liquidité, risque opérationnel et risque juridique) ?
La volatilité des cours reste une des craintes principales. Le cours des crypto-actifs est en effet très sensible à des épisodes extérieurs. L’organisation puis la médiatisation de plusieurs actes de malveillance ont en effet conduit à quelques chutes notables du cours du bitcoin :
– interdiction des plateformes de trading en Chine : – 40% en septembre 2017 ;
– fermeture brutale de MtGox, la principale plateforme d’échange :
– 50% en février 2014 ;
– arrêt surprise des échanges sur MtGox : – 80% en avril 2013 ;
– premier piratage de MtGox : – 95% entre juin et novembre 2011.
Cette grande volatilité du Bitcoin est souvent résumée par les chiffres suivants : s’il a fallu huit ans au bitcoin pour atteindre 1 000 dollars et deux mois pour passer de 6 000 dollars à 19 000 dollars, il a aussi chuté en seulement quelques jours de 20 000 dollars à 6 000 dollars.
La BCE considère cependant que ces trois risques ne sont actuellement pas avérés, eu égard à la faible capitalisation des crypto-actifs, du volume d’échanges limité, du déficit d’acceptation de ces actifs et de leur connexion réduite avec l’économie réelle.
En décembre 2017, le ministre de l’économie et des finances a demandé à la présidence argentine du G20 l’organisation d’un débat sur la régulation des crypto monnaies, eu égard aux potentiels risques sur la stabilité financière internationale.
En mars 2018, le Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board – FSB) a répondu à cette sollicitation en publiant une analyse relative aux risques posés par la croissance rapide des crypto-actifs sur la stabilité financière (1).
L’évaluation du FSB conclut à l’absence de risque actuel des crypto-actifs pour la stabilité financière globale, compte tenu de leur faible part dans le système financier. En outre, les crypto-actifs ont des liens ténus avec le système financier, du fait de leur non-substituabilité avec les monnaies légales et de leur usage limité au sein de l’économie réelle ou pour les transactions financières.
Toutefois, le FSB considère que cette analyse devra être poursuivie à l’avenir, compte tenu de la rapidité d’évolution de ces marchés.
Les mêmes conclusions ont été rendues dans le rapport du Fonds monétaire international (FMI) sur la stabilité financière mondiale de 2018, qui indique que le secteur des crypto-actifs demeure relativement étroit et ne constitue pas de risque important pour la stabilité financière. En effet, malgré l’essor exponentiel de la capitalisation boursière de ces crypto-actifs, ils représentent aujourd’hui moins de 1 % de la capitalisation boursière mondiale, soit entre 100 et 120 milliards de dollars en janvier 2019. Depuis août 2018, plus de 50 % de ce montant est attribuable au bitcoin, suivi de l’ether et du XP représentant tous deux environ 10 % du marché. Ces statistiques montrent que les crypto-actifs représentent une menace limitée pour les monnaies fiat et la conduite de la politique monétaire.
Aussi, certains économistes ont ainsi considéré que les crypto-actifs allaient être à l’origine d’une nouvelle bulle financière (comme Joseph Stiglitz). Pourtant, à titre de comparaison, la taille du marché n’est pas comparable à celle atteint avant l’éclatement de la bulle Internet (3 000 milliards de dollars pour les actions de la sphère technologique) ou de la crise des subprimes (7 300 milliards de dollars pour les subprimes). En outre, l’utilisation des crypto-actifs en tant que moyen d’échange reste à ce jour relativement faible.
D’autre part, si l’envolée des cours des crypto-actifs en 2017 a conduit à s’interroger sur la potentialité d’apparition future d’une nouvelle bulle financière, il s’avère qu’en dehors de l’année 2018, les rendements pondérés en fonction du risque – prenant en compte la volatilité́ du cours – n’ont pas significativement surpassé ceux des actifs classiques sur le moyen terme. Le « ratio de Sharpe » (rendement/volatilité́) de ces actifs était relativement proche de celui du S&P 500 pendant les trois dernières années. D’autant plus que les crypto-actifs sont toujours dé-corrélés d’autres actifs classiques, et pourraient donc avoir des effets bénéfiques dans le cadre de stratégies de diversification.
En outre, les promoteurs des crypto-actifs défendent l’idée que plus le marché sera profond et liquide, et plus les investisseurs institutionnels y seront présents, plus le cours sera stabilisé. Pour certains acteurs, l’émergence de produits dérivés est aussi un gage de stabilité financière, puisqu’il s’agit essentiellement d’instruments de couverture qui mettent en relation une personne qui souhaite couvrir un risque et une personne qui souhaite spéculer sur ce risque.
La question de la transparence et la traçabilité des crypto-actifs échangés sur la blockchain ont souvent été évoquées aux membres de la mission par les acteurs institutionnels. Ceci est notamment le fruit d’un paradoxe lié à l’usage de clefs publiques et privées.
Les crypto-devises permettent potentiellement davantage de transparence et de sécurité que les monnaies fiat. L’ensemble des transactions en crypto-actifs est en principe retracé, par le truchement de la technologie blockchain, sur le registre distribué. À ce titre il est possible, pour certains crypto-actifs, d’accéder au registre de l’ensemble des transactions effectuées depuis leur création – c’est le cas sur la blockchain bitcoin.
Pour autant, comme évoqué dans la première partie, lorsqu’il s’agit de crypto-actifs, l’identification s’appuie sur deux clefs cryptographiques, l’une publique et accessible à tous, qui permet d’identifier les différents portefeuilles mais pas leur propriétaire, et l’autre privée, qui permet au détenteur du portefeuille sur lequel sont inscrites les unités de crypto-actifs de les utiliser et de les transférer vers un autre portefeuille. Seule la connaissance conjointe de ces deux clefs donne la possibilité d’effectuer des opérations. La technologie cryptographique garantit ainsi l’anonymat, à rebours de ce qui est demandé aux institutions monétaires et financières traditionnelles dans la connaissance de leurs clients. Ceci fait ainsi craindre au régulateur un risque accru de financement du terrorisme et blanchiment d’argent par le biais de cette technologie.
De plus, des éléments transmis à la mission par le Gouvernement indiquent l’existence d’outils ayant pour objet d’opacifier les transactions, rendant ainsi la traçabilité partielle, ou tout au moins à géométrie variable. Pour exemple :
– les instruments de type « mixer » ou « tumbler » disponibles gratuitement, visent à complexifier les transactions en crypto-actifs entre le portefeuille d’un individu A et celui d’un individu B de façon à rendre impossible la détection de ladite transaction. Ces « mixers » subdivisent la transaction souhaitée en plusieurs sous-transactions impliquant une multitude de portefeuilles intermédiaires ;
– des crypto-actifs comme le Zcash ou le Monero mettant l’accent sur l’anonymat des transactions et possèdent une blockchain invisible, il devient alors impossible de suivre les mouvements entre portefeuilles sur la blockchain de ces crypto-actifs ;
– enfin, étant donné que la création de portefeuilles de crypto-actifs peut se faire de manière totalement anonyme, il est impossible de remonter à l’identité réelle de l’utilisateur par ce biais.
Cependant, l’étude de 2015 d’Europol a permis d’établir que toutes les activités criminelles, y compris celles qui passent par l’intermédiaire des crypto-actifs, avaient recours à au moins une transaction cash. À cet égard, il semble indispensable de construire au niveau international un cadre réglementaire sécurisant les interfaces monnaies légales / crypto-actifs, en rendant obligatoire l’identification des utilisateurs de telles interfaces, via les plateformes en ligne, ou les « bureaux de change ». Dès lors, les risques liés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme s’en trouveraient sensiblement réduits et la blockchain pourrait révéler tout son potentiel en termes de transparence.
Il ressort des études menées par Tracfin que 350 déclarations de soupçon ont été reçues par l’organisme en 2017 contre 28 en 2014. Si ce chiffre est en augmentation, il n’en reste pas moins mineur au regard de l’usage de monnaie cash à des fins criminelles. Cette affirmation a d’ailleurs été confirmée par l’étude de janvier 2018 du centre sur les sanctions et la finance illicite menée par la Fondation de défense des démocraties, qui indique que seuls 0,61 % des transactions en bitcoin entre 2013 et 2016 ont été identifiées comme d’origine criminelle.
Il convient ici de rappeler qu’en France, depuis l’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016, les services de change de crypto-actifs sont soumis aux règles de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. À cet égard, ils sont dans l’obligation d’identifier le client et le bénéficiaire effectif, ainsi que de déclarer toute transaction suspecte à Tracfin. La cinquième directive européenne de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme a étendu ces dispositions à l’échelle des membres de l’Union en 2018. Elle est également un peu plus large puisqu’elle inclut les fournisseurs de portefeuille de crypto-actifs (type « wallet providers ») au sein de la réglementation. Toutefois, ces obligations ne sont actuellement pas applicables aux plateformes proposant des échanges entre crypto-actifs, ni aux émissions de jetons dans le cadre d’ICO.
Pour rappel, l’objectif de cette directive est de permettre aux cellules de renseignement financier nationales d’associer les adresses correspondant aux crypto-actifs au propriétaire de ces actifs, ainsi qu’aux utilisateurs de se déclarer eux-mêmes aux autorités désignées.
En parallèle de ces efforts réglementaires faut-il ajouter des initiatives émanant de l’écosystème blockchain lui-même. Nous voyons ainsi émerger des start-up telles que Chainalysis, qui se développent afin de mettre en place des processus de sécurité́ contre les menaces énoncées ci-dessus. Chainalysis a notamment instauré un processus de know your transaction (KYT) qui analyse les transactions en temps réel sur les plateformes. Lancée en 2014, et seulement compatible avec la blockchain du bitcoin initialement, elle ambitionne de l’être avec une dizaine de crypto-monnaies. La société́ a finalisé un tour de table de 16 millions d’euros organisé par Benchmark Capital ; elle a notamment aidé à retracer les fonds pendant le hack de Mt Gox.
Si certains risques sont réels, les crypto-actifs font toutefois l’objet d’une mauvaise publicité qui peut à certains égards sembler injustifiée ou pour le moins exagérée. Il apparaît, en effet, que ce jeune secteur, empreint d’une forte technicité, reste mal connu et mal compris. C’est le cas au sein de nombreuses institutions financières pour lesquelles il n’est pas culturellement inné qu’un système de paiement puisse être géré en multi-réseaux tout en restant sûr, et qui craignent pour leur image. De nombreux acteurs auditionnés ont ainsi fait part aux membres de la mission de plusieurs fermetures de comptes injustifiées ou de difficultés d’ouvertures bancaires en France. Pourtant, certains établissements ont lancé plusieurs initiatives en faveur de la blockchain et des crypto-actifs.
Quelques institutions financières ont en effet commencé à développer des activités liées aux crypto-actifs. Goldman Sachs et Barclays réfléchissent, par exemple, à la mise en place de bureaux de trading de crypto-actifs.
L’intérêt pour les grands acteurs financiers de se positionner sur les crypto-actifs, en y incluant les gestionnaires d’actifs, est évident. Il peut relever de trois logiques :
– une logique de spéculation, dans la perspective de retrouver les rendements très élevés de l’année 2017 ;
– une logique de diversification, basée sur le constat que les crypto-actifs offrent des corrélations assez nouvelles avec les composantes classiques du marché́, et constituent à ce titre un outil intéressant de diversification des portefeuilles ;
– une logique d’utilisation de ces actifs pour bénéficier de services uniquement permis par la blockchain et les crypto-actifs.
On observe par ailleurs deux approches : l’une, directe, par l’investissement dans l’actif crypto lui-même, et l’autre indirecte, par une exposition via des produits dérivés à un sous-jacent crypto-actif (ex. : lancement d’une offre de futures bitcoins sur les marchés américains CME et CBOE).
Dans ses prévisions de juillet 2018, le cabinet américain International Data Corporation (IDC) présageait que le secteur financier serait au premier rang des investissements dans la blockchain en 2018. L’Europe se positionnant comme la seconde zone géographique la plus encline à investir sur ce poste, dernière les États-Unis.
En France, les structures financières sont rares à afficher aussi publiquement leur intérêt pour les crypto-actifs. Elles sont cependant nombreuses à expérimenter la technologie dans le cadre de l’amélioration de leurs procédures internes. C’est ainsi, pour ne citer que quelques exemples :
– le consortium américain R3 – réunissant une centaine d’institutions financières – révélait le 3 décembre 2018 que vingt-six entreprises françaises et cinq banques participaient à un projet pilote d’échange de document KYC sur la plateforme Corda ;
– la société Ripple déclarait compter une centaine d’institutions bancaires utilisant son réseau, parmi lesquels le Crédit Agricole ;
– la BNP Paribas a récemment participé en partenariat avec la seconde plus grande banque espagnole – BBVA – à un prêt syndiqué basé sur la blockchain d’un montant de 150 millions d’euros pour la Red Eléctrica de España. Passer par l’intermédiaire de la blockchain a permis de simplifier le processus d’allocation du prêt ainsi que d’en réduire les frais ;
– la BNP Paribas a également entamé une collaboration avec le porteur de projet Money by design, dont l’une des ambitions est la fourniture de tokens utilisables comme moyen de paiement dans l’économie réelle, et qui annonçait, début 2018, le lancement d’une ICO à 300 millions d’euros en partenariat avec l’entreprise française Chaineum.
Les initiatives précitées n’induisent cependant pas une bienveillance partagée de la part des acteurs bancaires envers les acteurs de l’écosystème. À ce titre, cette relation se caractérise dans une certaine mesure par une hypocrisie qu’il convient de mentionner, notamment de la part d’acteurs bancaires qui installent des fonds de gestion en crypto-actifs dans des pays plus permissifs (Luxembourg, Suisse, etc..) tout en refusant d’ouvrir des comptes en euros aux entrepreneurs de l’écosystème en France, ou en refusant que ces comptes soient alimentés par des versements en euros de la part des plateformes.
Si la crainte de s’exposer à des sanctions, notamment des autorités américaines dont la loi est extraterritoriale, et la volonté de ne pas exposer le bilan des établissements de crédit à certains crypto-actifs peut sembler légitime, il apparaît que cette réserve va souvent bien au-delà. Plusieurs cas de refus d’ouverture ou de fermeture de compte ont été révélés, les virements issus de la conversion de crypto-actifs en monnaie fiat sont refusés et les comptes bancaires de sociétés travaillant dans le secteur sont clôturés de manière presque systématique. Ces difficultés ne semblent pas concerner uniquement les investisseurs ou les personnes morales, mais aussi des employés d’entreprises du secteur ou des associations, dont l’activité n’est pas directement liée aux crypto-actifs.
En outre, plusieurs cas de refus non motivés et sans transmission d’une attestation ont été rapportés, bien qu’il s’agisse d’une obligation pour les institutions bancaires, conformément à la section III de l’article L. 312-1 du code monétaire et financier. L’usager se trouve alors privé de faire valoir son droit au compte auprès de la Banque de France sur présentation de ce justificatif ; démarche qui permet d’aboutir à la désignation d’un établissement de crédit en capacité de lui offrir des services de dépôt et de paiement.
Lors des auditions menées, il a été évoqué au rapporteur que de rares établissements de crédits acceptaient la création de comptes bancaires avec un degré de limitation parfois insurmontable pour le lancement d’une activité. Notons ici que l’unique plateforme d’échange en crypto-actifs française – après avoir subi plusieurs fermetures de comptes – a obtenu l’accès à des services bancaires auprès d’un établissement de crédit appliquant de strictes restrictions en termes de flux de transactions (limite de 10 000 euros par an par client, seuil au-delà duquel l’utilisateur doit soumettre un justificatif de revenu ou d’origine des fonds, avec un temps moyen de traitement est de quatre à six semaines). La plateforme se voit donc dans l’obligation de refuser des ordres importants faute de liquidité suffisante. À titre de comparaison, la plateforme Kraken qui disposerait des services de la banque allemande Fidor, propose à ses utilisateurs une limite de dépôt de 20 000 euros de dépôt par jour ou 200 000 euros de dépôt par mois sur simple présentation d’une pièce d’identité et d’un justificatif de domicile.
Afin d’être compétitive et de couvrir ses frais, la plateforme doit pourtant pouvoir traiter un volume minimal de transaction équivalent à 1,6 million d’euros par jour en termes de volume d’échange ou à 600 000 euros par jour en termes de virements entrants.
Nombre de plateformes font pourtant le choix de la conformité, exercée en interne ou par l’intermédiaire de prestataires de services. La plateforme Gatecoin affirme ainsi vérifier l’identité de l’ensemble de ses utilisateurs sur la base de données internationale World-Check, et au-delà de 50 000 euros de transaction, elle leur demande une certification de leurs justificatifs par un notaire. Ses fondateurs, français, sont pourtant confrontés à des difficultés opérationnelles et financières notables.
Aussi, la capacité de la France à attirer des plateformes de change sur son territoire est de fait limitée. La relation bancaire est aujourd’hui l’un des principaux freins à l’essor d’un écosystème blockchain en France. En effet, l’impossibilité d’ouverture de compte en France est un des premiers motifs de fuite des capitaux et technologie à l’étranger. En outre, il serait vain de légiférer pour favoriser l’émergence de nouveaux acteurs en France si ces derniers ne pouvaient y voir leur activité et leurs capitaux hébergés. La présence – et persistance – d’acteurs sur le territoire français renforcerait le poids de notre pays dans les négociations internationales sur la régulation des plateformes d’échanges.
Afin de résoudre cette problématique, il est nécessaire de faire converger les acteurs (institutionnels, bancaires et privés) vers la mise en place de mesures rétablissant la confiance entre les parties.
Disposant que « a droit à l’ouverture d’un compte de dépôt dans l’établissement de crédit de son choix – sous réserve d’être dépourvu d’un tel compte en France – toute personne physique ou morale domiciliée en France », tel qu’inscrit à l’article L. 312-1 du code monétaire et financier, le rapporteur estime que l’universalité de ce principe doit être sanctuarisée.
Les conditions et raisons d’ouverture et/ou de fermeture de compte pour les acteurs du secteur sont aujourd’hui peu transparentes. Si des avancées ont été obtenues dans le cadre de la première lecture du projet de loi PACTE à l’Assemblée nationale, le rapporteur invite à une clarification plus en avant des modalités d’accès à des services de compte de dépôt et de paiement pour les entreprises exerçant une activité liée à la blockchain.
Proposition 14 : Veiller à un droit au compte effectif pour toutes les entreprises de la blockchain – y compris celles n’ayant pas vocation à solliciter un visa auprès de l’AMF – par la définition de règles objectives, reconnues par l’ensemble des acteurs (institutionnels, bancaires, privés).
En effet, dans le cadre de l’événement « Quelle régulation pour les monnaies virtuelles », organisé à Station F au mois de septembre, une requête a fortement été remontée par les institutions bancaires : celle du respect par les acteurs de la blockchain d’obligations jugées utiles à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ainsi qu’à la protection des investisseurs. Cette demande trouve une réponse dans le projet de loi PACTE qui permettra à l’AMF d’établir une liste blanche des entreprises qui respectent de telles diligences via l’octroi d’un visa (nous y reviendrons ultérieurement). Une fois l’entreprise certifiée, l’exposition des établissements de crédits à d’éventuels risques de sanction se trouve réduite.
En contrepartie de cette mise en conformité des acteurs de la blockchain, il semble légitime que les établissements de crédit mettent en place des règles « objectives, non discriminatoires et proportionnées » pour les émetteurs d’ICO et les prestataires de services ayant obtenu un agrément. À ce titre, ils devront justifier auprès de l’ACPR et de l’AMF, des motifs ayant conduit au refus d’ouverture de compte à un opérateur labélisé. L’amendement adopté en ce sens par l’Assemblée nationale contribuera ainsi à lever les « entraves » injustifiées à l’accès à un compte de dépôt et de paiement pour les entreprises ayant été certifiées par l’AMF.
Le rapporteur souhaite néanmoins souligner qu’il faudra également prendre en compte le nécessaire accès auxdits services pour les entreprises qui n’ont pas vocation, de par l’activité qu’elles exercent, à solliciter de visa auprès de l’AMF. Il appelle à ce titre à la vigilance : le principe du droit au compte se doit d’être effectif pour tous.
Les voies et délais de recours pour les entrepreneurs en cas de refus des établissements de crédits, ainsi que les sanctions applicables en cas de manquement à leurs obligations sont aujourd’hui très minces. Aussi, le rapporteur a-t-il souhaité, dans le projet de loi PACTE, proposer une solution – partagée avec les autres parlementaires impliqués sur la thématique à travers l’amendement n° 2728 à l’article 26 du projet de loi PACTE.
Proposition 15 : En cas de difficulté persistante d’accès à des services de dépôts et de paiement, la start-up pourrait faire appel en dernier ressort à la Caisse des dépôts et consignations et solliciter auprès d’elle, lesdits services.
Cet amendement a été supprimé au Sénat mais devrait de nouveau être débattu lors du prochain passage du texte en seconde lecture à l’Assemblée nationale.
Dans l’optique de trouver des solutions adaptées à tous les acteurs, il sera également utile de poursuivre un travail de pédagogie auprès des établissements de crédit et de leurs équipes. En effet, ne sachant pas comment traiter un sujet aussi technique et sans indications claires, ces dernières peuvent refuser a priori l’ouverture d’un compte à une société gérant ces actifs, dont la réputation médiatique est exagérément négative. Les crypto-actifs sont un sujet technique qu’il faut expliquer de manière intelligible. Aussi, serait-il souhaitable de clarifier encore les attentes du secteur bancaire en matière de diligences. En ce sens et au-delà de la poursuite des concertations engagées par l’AMF, le rapporteur préconise que :
Proposition 16 : les autorités de régulation – notamment l’ACPR – édictent des recommandations à l’attention des établissements bancaires afin de les guider dans l’instruction du dossier d’une entreprise blockchain.
Ceci donne lieu à de nombreuses difficultés bancaires pour les acteurs de l’écosystème. Cependant, nombre d’entre eux témoignent d’une envie d’accompagnement accru, et plusieurs « bonnes pratiques » émergent afin de renforcer la confiance entre acteurs institutionnels, acteurs économiques et investisseurs.
Plusieurs risques financiers et économiques potentiels
Plusieurs risques entourent en effet l’utilisation des crypto-actifs, comme c’est par ailleurs le cas pour tout type d’actif.
La perception d’un triple risque d’instabilité, sans qu’il soit avéré pour la BCE et le FMI
Au-delà des éléments évoqués précédemment, concernant le risque de concurrence entre monnaies, la Banque centrale européenne (BCE) a relevé trois défis potentiels relatifs aux crypto-actifs du point de vue des banques centrales :
– la stabilité des prix : les crypto-actifs pourraient-ils avoir un impact sur la politique monétaire et la stabilité des prix ?
– la stabilité financière : les crypto-actifs pourraient-ils compromettre la stabilité financière ?
– la stabilité du système de paiement : les crypto-actifs peuvent-ils avoir un impact sur la stabilité du système de paiement, dans la mesure où les utilisateurs participent directement audit système, en étant confrontés directement aux risques (risque de crédit, risque de liquidité, risque opérationnel et risque juridique) ?
La volatilité des cours reste une des craintes principales. Le cours des crypto-actifs est en effet très sensible à des épisodes extérieurs. L’organisation puis la médiatisation de plusieurs actes de malveillance ont en effet conduit à quelques chutes notables du cours du bitcoin :
– interdiction des plateformes de trading en Chine : – 40% en septembre 2017 ;
– fermeture brutale de MtGox, la principale plateforme d’échange :
– 50% en février 2014 ;
– arrêt surprise des échanges sur MtGox : – 80% en avril 2013 ;
– premier piratage de MtGox : – 95% entre juin et novembre 2011.
Cette grande volatilité du Bitcoin est souvent résumée par les chiffres suivants : s’il a fallu huit ans au bitcoin pour atteindre 1 000 dollars et deux mois pour passer de 6 000 dollars à 19 000 dollars, il a aussi chuté en seulement quelques jours de 20 000 dollars à 6 000 dollars.
La BCE considère cependant que ces trois risques ne sont actuellement pas avérés, eu égard à la faible capitalisation des crypto-actifs, du volume d’échanges limité, du déficit d’acceptation de ces actifs et de leur connexion réduite avec l’économie réelle.
Les enjeux de stabilité financière internationale liés aux crypto-actifs
En décembre 2017, le ministre de l’économie et des finances a demandé à la présidence argentine du G20 l’organisation d’un débat sur la régulation des crypto monnaies, eu égard aux potentiels risques sur la stabilité financière internationale.
En mars 2018, le Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board – FSB) a répondu à cette sollicitation en publiant une analyse relative aux risques posés par la croissance rapide des crypto-actifs sur la stabilité financière (1).
L’évaluation du FSB conclut à l’absence de risque actuel des crypto-actifs pour la stabilité financière globale, compte tenu de leur faible part dans le système financier. En outre, les crypto-actifs ont des liens ténus avec le système financier, du fait de leur non-substituabilité avec les monnaies légales et de leur usage limité au sein de l’économie réelle ou pour les transactions financières.
Toutefois, le FSB considère que cette analyse devra être poursuivie à l’avenir, compte tenu de la rapidité d’évolution de ces marchés.
Les mêmes conclusions ont été rendues dans le rapport du Fonds monétaire international (FMI) sur la stabilité financière mondiale de 2018, qui indique que le secteur des crypto-actifs demeure relativement étroit et ne constitue pas de risque important pour la stabilité financière. En effet, malgré l’essor exponentiel de la capitalisation boursière de ces crypto-actifs, ils représentent aujourd’hui moins de 1 % de la capitalisation boursière mondiale, soit entre 100 et 120 milliards de dollars en janvier 2019. Depuis août 2018, plus de 50 % de ce montant est attribuable au bitcoin, suivi de l’ether et du XP représentant tous deux environ 10 % du marché. Ces statistiques montrent que les crypto-actifs représentent une menace limitée pour les monnaies fiat et la conduite de la politique monétaire.
Aussi, certains économistes ont ainsi considéré que les crypto-actifs allaient être à l’origine d’une nouvelle bulle financière (comme Joseph Stiglitz). Pourtant, à titre de comparaison, la taille du marché n’est pas comparable à celle atteint avant l’éclatement de la bulle Internet (3 000 milliards de dollars pour les actions de la sphère technologique) ou de la crise des subprimes (7 300 milliards de dollars pour les subprimes). En outre, l’utilisation des crypto-actifs en tant que moyen d’échange reste à ce jour relativement faible.
D’autre part, si l’envolée des cours des crypto-actifs en 2017 a conduit à s’interroger sur la potentialité d’apparition future d’une nouvelle bulle financière, il s’avère qu’en dehors de l’année 2018, les rendements pondérés en fonction du risque – prenant en compte la volatilité́ du cours – n’ont pas significativement surpassé ceux des actifs classiques sur le moyen terme. Le « ratio de Sharpe » (rendement/volatilité́) de ces actifs était relativement proche de celui du S&P 500 pendant les trois dernières années. D’autant plus que les crypto-actifs sont toujours dé-corrélés d’autres actifs classiques, et pourraient donc avoir des effets bénéfiques dans le cadre de stratégies de diversification.
En outre, les promoteurs des crypto-actifs défendent l’idée que plus le marché sera profond et liquide, et plus les investisseurs institutionnels y seront présents, plus le cours sera stabilisé. Pour certains acteurs, l’émergence de produits dérivés est aussi un gage de stabilité financière, puisqu’il s’agit essentiellement d’instruments de couverture qui mettent en relation une personne qui souhaite couvrir un risque et une personne qui souhaite spéculer sur ce risque.
Un paradoxe entre traçabilité et anonymat qui engendre une crainte de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme
La question de la transparence et la traçabilité des crypto-actifs échangés sur la blockchain ont souvent été évoquées aux membres de la mission par les acteurs institutionnels. Ceci est notamment le fruit d’un paradoxe lié à l’usage de clefs publiques et privées.
Les crypto-devises permettent potentiellement davantage de transparence et de sécurité que les monnaies fiat. L’ensemble des transactions en crypto-actifs est en principe retracé, par le truchement de la technologie blockchain, sur le registre distribué. À ce titre il est possible, pour certains crypto-actifs, d’accéder au registre de l’ensemble des transactions effectuées depuis leur création – c’est le cas sur la blockchain bitcoin.
Pour autant, comme évoqué dans la première partie, lorsqu’il s’agit de crypto-actifs, l’identification s’appuie sur deux clefs cryptographiques, l’une publique et accessible à tous, qui permet d’identifier les différents portefeuilles mais pas leur propriétaire, et l’autre privée, qui permet au détenteur du portefeuille sur lequel sont inscrites les unités de crypto-actifs de les utiliser et de les transférer vers un autre portefeuille. Seule la connaissance conjointe de ces deux clefs donne la possibilité d’effectuer des opérations. La technologie cryptographique garantit ainsi l’anonymat, à rebours de ce qui est demandé aux institutions monétaires et financières traditionnelles dans la connaissance de leurs clients. Ceci fait ainsi craindre au régulateur un risque accru de financement du terrorisme et blanchiment d’argent par le biais de cette technologie.
De plus, des éléments transmis à la mission par le Gouvernement indiquent l’existence d’outils ayant pour objet d’opacifier les transactions, rendant ainsi la traçabilité partielle, ou tout au moins à géométrie variable. Pour exemple :
– les instruments de type « mixer » ou « tumbler » disponibles gratuitement, visent à complexifier les transactions en crypto-actifs entre le portefeuille d’un individu A et celui d’un individu B de façon à rendre impossible la détection de ladite transaction. Ces « mixers » subdivisent la transaction souhaitée en plusieurs sous-transactions impliquant une multitude de portefeuilles intermédiaires ;
– des crypto-actifs comme le Zcash ou le Monero mettant l’accent sur l’anonymat des transactions et possèdent une blockchain invisible, il devient alors impossible de suivre les mouvements entre portefeuilles sur la blockchain de ces crypto-actifs ;
– enfin, étant donné que la création de portefeuilles de crypto-actifs peut se faire de manière totalement anonyme, il est impossible de remonter à l’identité réelle de l’utilisateur par ce biais.
Cependant, l’étude de 2015 d’Europol a permis d’établir que toutes les activités criminelles, y compris celles qui passent par l’intermédiaire des crypto-actifs, avaient recours à au moins une transaction cash. À cet égard, il semble indispensable de construire au niveau international un cadre réglementaire sécurisant les interfaces monnaies légales / crypto-actifs, en rendant obligatoire l’identification des utilisateurs de telles interfaces, via les plateformes en ligne, ou les « bureaux de change ». Dès lors, les risques liés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme s’en trouveraient sensiblement réduits et la blockchain pourrait révéler tout son potentiel en termes de transparence.
Il ressort des études menées par Tracfin que 350 déclarations de soupçon ont été reçues par l’organisme en 2017 contre 28 en 2014. Si ce chiffre est en augmentation, il n’en reste pas moins mineur au regard de l’usage de monnaie cash à des fins criminelles. Cette affirmation a d’ailleurs été confirmée par l’étude de janvier 2018 du centre sur les sanctions et la finance illicite menée par la Fondation de défense des démocraties, qui indique que seuls 0,61 % des transactions en bitcoin entre 2013 et 2016 ont été identifiées comme d’origine criminelle.
Il convient ici de rappeler qu’en France, depuis l’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016, les services de change de crypto-actifs sont soumis aux règles de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. À cet égard, ils sont dans l’obligation d’identifier le client et le bénéficiaire effectif, ainsi que de déclarer toute transaction suspecte à Tracfin. La cinquième directive européenne de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme a étendu ces dispositions à l’échelle des membres de l’Union en 2018. Elle est également un peu plus large puisqu’elle inclut les fournisseurs de portefeuille de crypto-actifs (type « wallet providers ») au sein de la réglementation. Toutefois, ces obligations ne sont actuellement pas applicables aux plateformes proposant des échanges entre crypto-actifs, ni aux émissions de jetons dans le cadre d’ICO.
Pour rappel, l’objectif de cette directive est de permettre aux cellules de renseignement financier nationales d’associer les adresses correspondant aux crypto-actifs au propriétaire de ces actifs, ainsi qu’aux utilisateurs de se déclarer eux-mêmes aux autorités désignées.
En parallèle de ces efforts réglementaires faut-il ajouter des initiatives émanant de l’écosystème blockchain lui-même. Nous voyons ainsi émerger des start-up telles que Chainalysis, qui se développent afin de mettre en place des processus de sécurité́ contre les menaces énoncées ci-dessus. Chainalysis a notamment instauré un processus de know your transaction (KYT) qui analyse les transactions en temps réel sur les plateformes. Lancée en 2014, et seulement compatible avec la blockchain du bitcoin initialement, elle ambitionne de l’être avec une dizaine de crypto-monnaies. La société́ a finalisé un tour de table de 16 millions d’euros organisé par Benchmark Capital ; elle a notamment aidé à retracer les fonds pendant le hack de Mt Gox.
Une action ambivalente de la part des acteurs bancaires et institutionnels
Si certains risques sont réels, les crypto-actifs font toutefois l’objet d’une mauvaise publicité qui peut à certains égards sembler injustifiée ou pour le moins exagérée. Il apparaît, en effet, que ce jeune secteur, empreint d’une forte technicité, reste mal connu et mal compris. C’est le cas au sein de nombreuses institutions financières pour lesquelles il n’est pas culturellement inné qu’un système de paiement puisse être géré en multi-réseaux tout en restant sûr, et qui craignent pour leur image. De nombreux acteurs auditionnés ont ainsi fait part aux membres de la mission de plusieurs fermetures de comptes injustifiées ou de difficultés d’ouvertures bancaires en France. Pourtant, certains établissements ont lancé plusieurs initiatives en faveur de la blockchain et des crypto-actifs.
Un intérêt croissant des institutions financières
Quelques institutions financières ont en effet commencé à développer des activités liées aux crypto-actifs. Goldman Sachs et Barclays réfléchissent, par exemple, à la mise en place de bureaux de trading de crypto-actifs.
L’intérêt pour les grands acteurs financiers de se positionner sur les crypto-actifs, en y incluant les gestionnaires d’actifs, est évident. Il peut relever de trois logiques :
– une logique de spéculation, dans la perspective de retrouver les rendements très élevés de l’année 2017 ;
– une logique de diversification, basée sur le constat que les crypto-actifs offrent des corrélations assez nouvelles avec les composantes classiques du marché́, et constituent à ce titre un outil intéressant de diversification des portefeuilles ;
– une logique d’utilisation de ces actifs pour bénéficier de services uniquement permis par la blockchain et les crypto-actifs.
On observe par ailleurs deux approches : l’une, directe, par l’investissement dans l’actif crypto lui-même, et l’autre indirecte, par une exposition via des produits dérivés à un sous-jacent crypto-actif (ex. : lancement d’une offre de futures bitcoins sur les marchés américains CME et CBOE).
Dans ses prévisions de juillet 2018, le cabinet américain International Data Corporation (IDC) présageait que le secteur financier serait au premier rang des investissements dans la blockchain en 2018. L’Europe se positionnant comme la seconde zone géographique la plus encline à investir sur ce poste, dernière les États-Unis.
En France, les structures financières sont rares à afficher aussi publiquement leur intérêt pour les crypto-actifs. Elles sont cependant nombreuses à expérimenter la technologie dans le cadre de l’amélioration de leurs procédures internes. C’est ainsi, pour ne citer que quelques exemples :
– le consortium américain R3 – réunissant une centaine d’institutions financières – révélait le 3 décembre 2018 que vingt-six entreprises françaises et cinq banques participaient à un projet pilote d’échange de document KYC sur la plateforme Corda ;
– la société Ripple déclarait compter une centaine d’institutions bancaires utilisant son réseau, parmi lesquels le Crédit Agricole ;
– la BNP Paribas a récemment participé en partenariat avec la seconde plus grande banque espagnole – BBVA – à un prêt syndiqué basé sur la blockchain d’un montant de 150 millions d’euros pour la Red Eléctrica de España. Passer par l’intermédiaire de la blockchain a permis de simplifier le processus d’allocation du prêt ainsi que d’en réduire les frais ;
– la BNP Paribas a également entamé une collaboration avec le porteur de projet Money by design, dont l’une des ambitions est la fourniture de tokens utilisables comme moyen de paiement dans l’économie réelle, et qui annonçait, début 2018, le lancement d’une ICO à 300 millions d’euros en partenariat avec l’entreprise française Chaineum.
Une réticence qui perdure en France malgré tout, conduisant à de nombreuses difficultés bancaires pour les acteurs de l’écosystème
Les initiatives précitées n’induisent cependant pas une bienveillance partagée de la part des acteurs bancaires envers les acteurs de l’écosystème. À ce titre, cette relation se caractérise dans une certaine mesure par une hypocrisie qu’il convient de mentionner, notamment de la part d’acteurs bancaires qui installent des fonds de gestion en crypto-actifs dans des pays plus permissifs (Luxembourg, Suisse, etc..) tout en refusant d’ouvrir des comptes en euros aux entrepreneurs de l’écosystème en France, ou en refusant que ces comptes soient alimentés par des versements en euros de la part des plateformes.
Si la crainte de s’exposer à des sanctions, notamment des autorités américaines dont la loi est extraterritoriale, et la volonté de ne pas exposer le bilan des établissements de crédit à certains crypto-actifs peut sembler légitime, il apparaît que cette réserve va souvent bien au-delà. Plusieurs cas de refus d’ouverture ou de fermeture de compte ont été révélés, les virements issus de la conversion de crypto-actifs en monnaie fiat sont refusés et les comptes bancaires de sociétés travaillant dans le secteur sont clôturés de manière presque systématique. Ces difficultés ne semblent pas concerner uniquement les investisseurs ou les personnes morales, mais aussi des employés d’entreprises du secteur ou des associations, dont l’activité n’est pas directement liée aux crypto-actifs.
En outre, plusieurs cas de refus non motivés et sans transmission d’une attestation ont été rapportés, bien qu’il s’agisse d’une obligation pour les institutions bancaires, conformément à la section III de l’article L. 312-1 du code monétaire et financier. L’usager se trouve alors privé de faire valoir son droit au compte auprès de la Banque de France sur présentation de ce justificatif ; démarche qui permet d’aboutir à la désignation d’un établissement de crédit en capacité de lui offrir des services de dépôt et de paiement.
Lors des auditions menées, il a été évoqué au rapporteur que de rares établissements de crédits acceptaient la création de comptes bancaires avec un degré de limitation parfois insurmontable pour le lancement d’une activité. Notons ici que l’unique plateforme d’échange en crypto-actifs française – après avoir subi plusieurs fermetures de comptes – a obtenu l’accès à des services bancaires auprès d’un établissement de crédit appliquant de strictes restrictions en termes de flux de transactions (limite de 10 000 euros par an par client, seuil au-delà duquel l’utilisateur doit soumettre un justificatif de revenu ou d’origine des fonds, avec un temps moyen de traitement est de quatre à six semaines). La plateforme se voit donc dans l’obligation de refuser des ordres importants faute de liquidité suffisante. À titre de comparaison, la plateforme Kraken qui disposerait des services de la banque allemande Fidor, propose à ses utilisateurs une limite de dépôt de 20 000 euros de dépôt par jour ou 200 000 euros de dépôt par mois sur simple présentation d’une pièce d’identité et d’un justificatif de domicile.
Afin d’être compétitive et de couvrir ses frais, la plateforme doit pourtant pouvoir traiter un volume minimal de transaction équivalent à 1,6 million d’euros par jour en termes de volume d’échange ou à 600 000 euros par jour en termes de virements entrants.
Nombre de plateformes font pourtant le choix de la conformité, exercée en interne ou par l’intermédiaire de prestataires de services. La plateforme Gatecoin affirme ainsi vérifier l’identité de l’ensemble de ses utilisateurs sur la base de données internationale World-Check, et au-delà de 50 000 euros de transaction, elle leur demande une certification de leurs justificatifs par un notaire. Ses fondateurs, français, sont pourtant confrontés à des difficultés opérationnelles et financières notables.
Aussi, la capacité de la France à attirer des plateformes de change sur son territoire est de fait limitée. La relation bancaire est aujourd’hui l’un des principaux freins à l’essor d’un écosystème blockchain en France. En effet, l’impossibilité d’ouverture de compte en France est un des premiers motifs de fuite des capitaux et technologie à l’étranger. En outre, il serait vain de légiférer pour favoriser l’émergence de nouveaux acteurs en France si ces derniers ne pouvaient y voir leur activité et leurs capitaux hébergés. La présence – et persistance – d’acteurs sur le territoire français renforcerait le poids de notre pays dans les négociations internationales sur la régulation des plateformes d’échanges.
Faciliter le droit au compte et améliorer la transparence
Afin de résoudre cette problématique, il est nécessaire de faire converger les acteurs (institutionnels, bancaires et privés) vers la mise en place de mesures rétablissant la confiance entre les parties.
Disposant que « a droit à l’ouverture d’un compte de dépôt dans l’établissement de crédit de son choix – sous réserve d’être dépourvu d’un tel compte en France – toute personne physique ou morale domiciliée en France », tel qu’inscrit à l’article L. 312-1 du code monétaire et financier, le rapporteur estime que l’universalité de ce principe doit être sanctuarisée.
Clarifier les conditions d’accès ou de clôture d’un compte
Les conditions et raisons d’ouverture et/ou de fermeture de compte pour les acteurs du secteur sont aujourd’hui peu transparentes. Si des avancées ont été obtenues dans le cadre de la première lecture du projet de loi PACTE à l’Assemblée nationale, le rapporteur invite à une clarification plus en avant des modalités d’accès à des services de compte de dépôt et de paiement pour les entreprises exerçant une activité liée à la blockchain.
Proposition 14 : Veiller à un droit au compte effectif pour toutes les entreprises de la blockchain – y compris celles n’ayant pas vocation à solliciter un visa auprès de l’AMF – par la définition de règles objectives, reconnues par l’ensemble des acteurs (institutionnels, bancaires, privés).
En effet, dans le cadre de l’événement « Quelle régulation pour les monnaies virtuelles », organisé à Station F au mois de septembre, une requête a fortement été remontée par les institutions bancaires : celle du respect par les acteurs de la blockchain d’obligations jugées utiles à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ainsi qu’à la protection des investisseurs. Cette demande trouve une réponse dans le projet de loi PACTE qui permettra à l’AMF d’établir une liste blanche des entreprises qui respectent de telles diligences via l’octroi d’un visa (nous y reviendrons ultérieurement). Une fois l’entreprise certifiée, l’exposition des établissements de crédits à d’éventuels risques de sanction se trouve réduite.
En contrepartie de cette mise en conformité des acteurs de la blockchain, il semble légitime que les établissements de crédit mettent en place des règles « objectives, non discriminatoires et proportionnées » pour les émetteurs d’ICO et les prestataires de services ayant obtenu un agrément. À ce titre, ils devront justifier auprès de l’ACPR et de l’AMF, des motifs ayant conduit au refus d’ouverture de compte à un opérateur labélisé. L’amendement adopté en ce sens par l’Assemblée nationale contribuera ainsi à lever les « entraves » injustifiées à l’accès à un compte de dépôt et de paiement pour les entreprises ayant été certifiées par l’AMF.
Le rapporteur souhaite néanmoins souligner qu’il faudra également prendre en compte le nécessaire accès auxdits services pour les entreprises qui n’ont pas vocation, de par l’activité qu’elles exercent, à solliciter de visa auprès de l’AMF. Il appelle à ce titre à la vigilance : le principe du droit au compte se doit d’être effectif pour tous.
Offrir une voie de recours en cas de clôture non motivée d’un compte
Les voies et délais de recours pour les entrepreneurs en cas de refus des établissements de crédits, ainsi que les sanctions applicables en cas de manquement à leurs obligations sont aujourd’hui très minces. Aussi, le rapporteur a-t-il souhaité, dans le projet de loi PACTE, proposer une solution – partagée avec les autres parlementaires impliqués sur la thématique à travers l’amendement n° 2728 à l’article 26 du projet de loi PACTE.
Proposition 15 : En cas de difficulté persistante d’accès à des services de dépôts et de paiement, la start-up pourrait faire appel en dernier ressort à la Caisse des dépôts et consignations et solliciter auprès d’elle, lesdits services.
Cet amendement a été supprimé au Sénat mais devrait de nouveau être débattu lors du prochain passage du texte en seconde lecture à l’Assemblée nationale.
Dans l’optique de trouver des solutions adaptées à tous les acteurs, il sera également utile de poursuivre un travail de pédagogie auprès des établissements de crédit et de leurs équipes. En effet, ne sachant pas comment traiter un sujet aussi technique et sans indications claires, ces dernières peuvent refuser a priori l’ouverture d’un compte à une société gérant ces actifs, dont la réputation médiatique est exagérément négative. Les crypto-actifs sont un sujet technique qu’il faut expliquer de manière intelligible. Aussi, serait-il souhaitable de clarifier encore les attentes du secteur bancaire en matière de diligences. En ce sens et au-delà de la poursuite des concertations engagées par l’AMF, le rapporteur préconise que :
Proposition 16 : les autorités de régulation – notamment l’ACPR – édictent des recommandations à l’attention des établissements bancaires afin de les guider dans l’instruction du dossier d’une entreprise blockchain.
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