Crypto-actifs: développement disparate du marché secondaire

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L’apparition de risques au gré de la diversification des acteurs



Une diversification croissante des acteurs, notamment des intermédiaires en crypto-actifs



Comme tout écosystème en développement, celui des crypto-actifs s’est d’abord structuré autour d’un noyau dur de passionnés, mêlant informaticiens experts, entrepreneurs du numérique et experts associés aux fintechs.

Après l’effervescence autour de la publication du white paper du mystérieux Satoshi Nakamoto puis le minage du premier bitcoin en 2009, le caractère horizontal des crypto-actifs a ensuite nécessité l’intervention de toute une communauté de mineurs, d’abord restreinte et individuelle puis de plus en plus large et concentrée. D’abord rémunéré en fonction de la « preuve de travail » (proof-of-work) offerte sur la blockchain par un utilisateur individuel, le minage est passé à un stade industriel, avec le regroupement des mineurs en « pools » et la formation de coopératives.

L’écosystème des crypto-actifs s’est également développé autour d’ingénieurs informaticiens, d’entrepreneurs du secteur des fintechs et de cabinets d’avocats se spécialisant dans ce domaine. L’essor des crypto-actifs et du nombre de mineurs a également entraîné la création de nombreuses plateformes d’échanges. Celles-ci proposent par ailleurs plusieurs activités, aux contraintes juridiques et problématiques très différentes :
– le service d’échanges entre crypto-actifs et monnaie légale ;
– l’achat et la vente de crypto-actifs (physiques), y compris via des distributeurs semblables à des distributeurs de billets, certains prestataires disposant d’un stock en propre ;
– le service d’échange entre acheteurs et vendeurs, en tant que pur intermédiaire ;
– le placement de jetons, cotation et négociation ;
– la conservation pour le compte de tiers de clés cryptographiques privées pour la détention, le stockage ou le transfert de crypto-actifs ;
– l’échange de crypto-actifs contre d’autres crypto-actifs ;
– et enfin des activités de levées de fonds en crypto-monnaie.

Enfin, depuis quelques années, un large choix de sociétés de conseil s’est développé, ainsi que des fournisseurs de matériel ou d’accompagnement de projets en crypto-actifs.

Un risque avéré de perte en capital pour les investisseurs



Comme dans toute opération financière, les investisseurs en crypto-actifs peuvent être confrontés à plusieurs risques. Une perte en capital peut notamment être induite par :
– la volatilité des cours, qui est un des caractères inhérents aux crypto-actifs. La capitalisation boursière des crypto-actifs a chuté de 80 % en 2018, comme l’indique Coinmarketcap, passant de 612 à 121 milliards de dollars ;
– l’apparition de projets frauduleux (ou « scams »), dont l’objectif est d’exploiter la vulnérabilité de particuliers peu précautionneux, mal informés ou sans capacité à juger de la validité d’un crypto-actif, les incitant à investir de manière déraisonnée dans l’espoir d’un retour sur investissement irréaliste. Moins de 5 % des crypto-actifs en circulation à ce jour présentent des garanties de transparence et de fiabilité justifiant leur pérennité et leur valorisation ;
– le piratage d’un intermédiaire conservant les fonds en crypto-actifs ;
– la perte ou le vol d’une clé privée (l’accès au portefeuille), faute de sécurisation par l’investisseur ;
– ou l’abus de confiance entraînant la perte totale des capitaux d’un investisseur ayant eu recours à un intermédiaire frauduleux.

L’année 2018 s’annonce d’ailleurs être une année marquée par de nombreux piratages et escroqueries en crypto-actifs. Au mois d’août, le site Crypto Aware recensait 1,7 milliard de dollars de pertes sur 6 mois, soit plus de la moitié des montants cumulés enregistrés depuis 2011. L’AMF confirme cette analyse à l’échelle française puisque l’autorité aurait enregistré 700 plaintes d’épargnants sur les dix premiers mois de l’année pour la somme totale de 31 millions d’euros.

L’ensemble des risques liés à l’acquisition et à la détention de crypto-actifs sont largement synthétisés dans l’avertissement commun destiné aux consommateurs, publié le 12 février 2018 par les trois autorités européennes de régulation (Autorité bancaire européenne – EBA, Autorité européenne des marchés financiers – ESMA et Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles – EIOPA).

Pourtant, hormis le risque d’un regroupement par un mineur de plus 50 % de la puissance de calcul du réseau – qui s’amenuise au fur et à mesure que la taille du réseau augmente – la sécurité et la transparence du système blockchain ne sont plus à prouver. Les risques évoqués ci-dessus attestent donc de failles de sécurité qui interviennent au niveau des interfaces avec la technologie et non au sein de la technologie elle-même. Plusieurs d’entre eux ont trait à un besoin de clarification des offres en crypto-actifs proposées aux investisseurs. Les recommandations en direction des plateformes et des ICO, dans les parties suivantes, viseront à y répondre.


Un manque de suivi et de maturité au sein des ICO



Les investisseurs en crypto-actifs n’échappent pas à ces risques de perte en capital lorsqu’ils investissent dans un projet d’ICO. N’étant pas soumis à une obligation de respect des règles traditionnelles d’investissement, notamment d’information relative aux risques potentiels, certaines opérations d’offre de jetons au public ont pu donner lieu à des arnaques.

En effet, comme dans tout autre secteur, le risque que l’émetteur de jetons soit malveillant n’est pas nul. Plusieurs cas de disparition de fonds levés ou de projets non réalisés ont été répertoriés dans l’histoire des crypto-actifs. Il s’agit des deux principales sources d’incertitudes pour les investisseurs, par rapport à la promesse initiale prévue par le white paper.

Cependant, si on compare avec les levées de fonds traditionnelles et la pérennité des start-up, on peut se rendre compte que la proportion de projets caducs est similaire.

Dénaturation et échec de certains projets



Le manque de régulation sur les utility tokens avait jusqu’ici permis aux entreprises levant des fonds par ICO de contourner certaines contraintes comptables et fiscales liées à l’émission d’actifs assimilables à des titres financiers.

Plusieurs retours d’expérience ont en effet permis de conclure que bon nombre d’émetteurs d’ICO dénaturent leur projet afin que l’opération soit soumise à la réglementation associée aux utility tokens bien que le jeton émis présente initialement des caractéristiques communes aux security tokens. Ceci est notamment lié au fait que la réglementation dite « Prospectus » est jugée trop stricte pour une entreprise en lancement.

Pourtant, la tendance déclinante du marché des crypto-actifs sur 2018 – au-delà de la volatilité des cours – semble peu propice au développement pérenne d’un projet basé sur l’émission de utility tokens. De nombreuses entités émettrices se voient dans l’obligation de convertir leurs fonds en euros pour assurer la solvabilité de l’entreprise ; le nombre de projets développés ne faisant pour l’instant pas écho aux montants parfois faramineux levés.

À ce titre, le site bitcoin.com a mené en 2017 une étude sur les 902 jetons répertoriés sur Tokendata qui a permis de conclure que 46 % des projets d’ICO seraient voués à l’échec car « 142 n’ont jamais obtenu assez de financement pour se lancer concrètement, tandis que 276 ont simplement disparu, 15 ou se sont avérés être des escroqueries plus ou moins réussies. Et en pratique, le nombre d’échecs pourrait être bien plus haut. 113 ont arrêté́ de poster sur les réseaux sociaux, et bien d’autres ont tellement peu d’utilisateurs que leur futur semble compromis. »

Les études menées par Bloomberg et Ernst & Young sur la même année confirment l’analyse. La première indique que des 226 ICO étudiées, seule une sur dix a réellement donné lieu à l’usage d’un token quand la seconde estime que, sur les 372 projets examinés, plus de 10 % des fonds avaient été perdus ou dérobés pour un montant de 400 millions de pertes sur un total de 3,7 milliards de fonds levés. À ce titre, Facebook a annoncé fin janvier 2018 que « les publicités ne doivent pas faire la promotion de produits et services financiers qui sont fréquemment associés à des pratiques promotionnelles mensongères ou trompeuses telles que les options binaires, levées de fonds en monnaie virtuelle (ICO) ou la cryptomonnaie », bannissant ainsi de l’ensemble de ses réseaux sociaux, tout marketing lié aux crypto-actifs. Plus criant encore, l’Académie chinoise des technologies de l’information et de la communication (CAICT) estimait dans son rapport de mai 2018 que seuls 8 % des 80 000 start-up s’étant lancées autour d’un projet blockchain seraient encore actives, avec une durée de vie moyenne de 1,22 an.

Des résultats proches du taux d’échec habituel des start-up



Ces analyses sont toutefois à relativiser au regard de la longévité des start-up tous secteurs confondus. En effet, les derniers chiffres de l’INSEE datant de 2016 montrent que 90 % des start-up françaises échoueraient dans leur projet et auraient une durée de vie moyenne de 4 ans. En outre, l’étude menée début 2017 par In Extenso Innovation Croissance – entité du groupe Deloitte – relevait la difficulté de nos entreprises innovantes à dépasser leur phase d’amorçage (entre 1 et 3 ans d’existence) en raison, justement, du manque de financements auquel elles sont confrontées. À ce titre, il semble que l’émergence d’une nouvelle forme de financement soit bienvenue pour nos entreprises sous réserve de prévenir les éventuelles arnaques aux investisseurs et de s’assurer de la sécurité des fonds levés.

Un essoufflement à venir de l’attractivité des utility tokens et des ICO ?



Pour autant, les ICO telles qu’on les connaît aujourd’hui semblent montrer de premiers signes d’essoufflement. Précisons à nouveau ici que les utility tokens ne confèrent en réalité qu’un droit d’utilisation d’un service et non un investissement réel dans le service. En cas de non-avancement du projet dans son développement, la seule alternative de l’investisseur serait donc de revendre le token acheté à un autre utilisateur dans l’espoir de générer une plus-value ou, a minima, de limiter ses pertes.

À ce titre, les particuliers semblent de plus en plus frileux à l’idée de soutenir de nouveaux projets cédant davantage de place à des investisseurs plus institutionnels ou tout au moins plus aguerris. Plusieurs études récentes en font montre, il est aujourd’hui peu probable pour un porteur de lever des millions d’euros en une journée comme il pouvait encore le faire il y a quelques mois, faisant fi de toute cohérence entre la somme obtenue et les besoins commerciaux du projet. Si sur l’année 2018, le nombre d’ICO et les montants levés ont effectivement progressé par rapport à 2017, portés en début d’année par des projets importants tels que Block.one ou Telegram, la seconde partie de l’année s’est soldée par un déclin considérable de ces chiffres. Aujourd’hui, plus de la moitié des opérations ICO semblent peiner à parvenir à leur soft cap, aboutissant à l’abandon des projets et dans certains cas au remboursement des investisseurs, qui sont autrement laissés sans recours. L’étude complémentaire de Ernst & Young réalisée fin 2018 sur la « classe 2017 » d’ICO fait état d’une chute dans la valeur des tokens dont 86 % se trouveraient en-dessous de leur prix de lancement. En effet, les 141 ICO 2017 étudiées auraient subi une baisse de capitalisation de 66 % entre le 1er janvier et le 2 septembre 2018.




Dans ce contexte, les porteurs sont forcés de repenser leur projet et de professionnaliser leurs équipes pour espérer obtenir les financements nécessaires au développement de leur société. L’innovation doit être complétée d’une réelle valeur ajoutée pour les futurs utilisateurs, d’un calendrier de production, et d’une évaluation concrète des besoins de financement de l’entreprise.

Notons également que des sociétés se développent sur le segment du conseil post-ICO afin d’accompagner les émetteurs dans le bon développement de leur projet. C’est le cas de l’entreprise Chaineum, qui se définit comme la première « ICO boutique » en France. Il s’agit, certes, d’une prestation additionnelle pour l’entreprise, mais aussi d’un gage de confiance auprès des investisseurs qui sont passés par leur plateforme.

Le récent déclin des ICO pourrait à ce titre être assimilé à l’éclatement d’une bulle spéculative qui laissera place à des projets plus pérennes, mieux accompagnés, ainsi qu’à une transformation de ce modèle de financement.

Une diversification des opérations de levée de fonds



Nous venons de le signifier, l’intérêt d’émettre un utility token peut s’avérer limité à la fois pour les investisseurs en ce qu’il leur confère peu de droits, et pour la société porteuse du projet dont les besoins de long terme – notamment en liquidités – sont bien souvent déconnectés de la volonté de rendement immédiat de leurs investisseurs.

Nous voyons à ce titre émerger de nouveaux types d’opérations – non plus sur un modèle des ICO classiques – mais afin de tokeniser les titres d’entreprises dans le cadre d’une Security Token Offering (STO) ou d’une pré-IPO (pré-Initial Public Offering), ponts naturels entre le marché traditionnel et la blockchain.

En effet, de nouvelles plateformes du marché secondaire pré-IPO telles que The Elephant – qui « tokenise » des futurs titres d’entreprise – permettent aux utilisateurs de se comporter en réels investisseurs et apportent une source de liquidités non négligeable à des marchés existants tels que celui des actifs. Aussi, la plateforme Polymath – fondée en 2017 en Californie – entend permettre à tout un chacun de lancer son STO de la même manière qu’Ethereum a permis de monter une ICO, en lissant les obstacles liés à ce type d’opérations tels que les démarches réglementaires et administratives. La société estime que d’ici 5 ans, la capitalisation des security tokens pourrait atteindre 10 000 milliards de dollars.

La tokenisation des titres serait un gain pour les investisseurs « de détail ». La tokenisation s’entend au sens de l’inscription de l’actif et des droits qui y sont associés sur un token afin d’en permettre la gestion et l’échange en pair-à-pair sur un registre blockchain. Aujourd’hui, un particulier n’a accès que de manière limitée à l’investissement classique dans une entreprise. En premier lieu pour des raisons budgétaires car la mise de fonds nécessaire peut s’avérer élevée, voire inaccessible pour un petit épargnant. En outre, une action est indivisible à l’achat. L’investisseur ne peut donc pas en acquérir tant qu’il ne dispose pas des fonds nécessaires. À l’inverse, la tokenisation des titres financiers, permettrait de les rendre fractionnables. Ainsi le petit épargnant pourrait acquérir une fraction du titre à hauteur des revenus dont il dispose.

En second lieu, il est aujourd’hui complexe pour un particulier, à moins qu’il ne soit aguerri, d’effectuer un placement dans l’entreprise de son choix sans passer par un intermédiaire financier. À ce titre, son pouvoir d’investir se trouve cantonné à l’espoir que ledit intermédiaire participe au financement de l’entreprise à laquelle il souhaitait initialement apporter son soutien. La tokenisation des actifs financiers démocratise cette pratique en permettant aux entreprises d’avoir un accès direct et simplifié aux financements des particuliers.

La tokenisation des titres serait également un gain pour les entreprises. À ce jour, la complexité du marché des actifs empêche les entreprises de soumettre leurs titres au public avant une dizaine d’années afin de conserver de la liquidité. La tokenisation via des STO, elle, permet de rendre les titres disponibles aux investisseurs de manière transparente. Ces derniers peuvent échanger leurs tokens sur une plateforme dédiée du marché secondaire et obtenir un retour sur investissement immédiat sans que la liquidité de l’entreprise n’en soit modifiée.

À titre d’exemple, les security tokens devraient avoir une incidence sur les « capital ventures ». Traditionnellement, ces fonds ne peuvent rembourser leurs investisseurs avant une dizaine d’années sans que cela ne leur soit très coûteux car leurs actions ne sont pas liquides. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’ils investissent dans des start-up. Grâce aux STO, le capital resterait bloqué pour le capital venture tout en laissant la liberté aux investisseurs de revendre leurs actifs à d’autres investisseurs sur le marché secondaire. Il s’agirait d’une réelle révolution pour le marché financier.

Avant d’aborder la réglementation des ICO, il faut rappeler qu’aujourd’hui, les security tokens sont considérés par l’AMF comme assimilables à des titres financiers. Comme souligné par François-Xavier Thoorens, CEO de la société française Ark Écosystème, plusieurs émetteurs craignent de voir leurs tokens qualifiés de security par les autorités et d’être à ce titre soumis à la réglementation « Prospectus ». Ceci les induit à opter pour l’utilisation de hard forks et d’airdrops.

Un fork permet de dupliquer un crypto-actif en modifiant quelque peu le code la blockchain qui y est associée. Afin de se rapprocher d’une ICO, le nouveau block créé serait adjoint au porteur projet, ce dernier bénéficiant ainsi automatiquement de la base d’utilisateurs de la blockchain initiale, sans que ces derniers n’aient particulièrement souscrit au projet.

Un airdrop se réfère quant à lui, à l’octroi gratuit de crypto-actifs à des utilisateurs afin de faire connaître sa blockchain, par exemple en échange d’un partage ou d’un « j’aime » sur les réseaux sociaux. Il s’impose ainsi comme alternative marketing à la promotion d’un token qui viendrait concurrencer les 2 104 crypto-actifs existants par la création immédiate d’une communauté. Les airdrops peuvent également venir en complément d’un hard fork ou d’une ICO – notamment lorsque ces derniers ont été uniquement soumis à une vente privée – afin de récompenser les early adopters du projet.

Ces opérations permettent aux émetteurs de promouvoir un projet dépourvu de contrat, et donc, insoumis à toute régulation spécifique.

De premiers pas vers une réglementation des ICO



En parallèle du programme d’étude UNICORN sur les levées de fonds en actifs numériques, évoqué antérieurement, l’AMF a lancé une consultation sur les ICO du 26 octobre au 22 décembre 2017 afin de recueillir les observations, commentaires et avis des acteurs, professionnels et investisseurs potentiels sur les questions qui se posent en matière d’ICO. Elle rencontre par ailleurs régulièrement des porteurs ou futurs initiateurs d’ICO. Ainsi trente-sept projets lui avaient été présentés sur une base volontaire au 5 avril 2018.

L’objet de la consultation visait à étudier « les réponses qui pourraient être apportées en l’état actuel du droit, et à explorer les différentes pistes qui pourraient permettre d’encadrer ces opérations sur la base de bonnes pratiques observées sur le marché ».

Dans ce cadre, l’AMF a relevé que la plupart des opérations qui lui ont été soumises échappaient à toute réglementation, telle que l’offre au public de titres financiers, le financement participatif en titres, les placements collectifs ou l’intermédiation en biens divers. De même, les tokens émis en France dont l’Autorité a eu connaissance à l’époque semblaient conférer essentiellement un droit d’usage (d’un bien, d’une technologie ou d’un service) à leurs détenteurs et ne pouvaient à ce titre être qualifiés de titres financiers. Elle envisageait toutefois une analyse différente dans le cas de tokens conférant des droits politiques ou financiers à leurs détenteurs.

Compte tenu de cette analyse juridique, l’AMF a proposé trois pistes de régulation envisageables :
– le statu quo réglementaire et la définition de bonnes pratiques ;
– la réglementation des ICO dans le cadre juridique existant en matière de prospectus ;
– ou l’adoption d’une réglementation nouvelle adaptée aux ICO, selon deux options, soit la mise en place d’un régime d’autorisation applicable à toutes les ICO s’adressant au public en France, soit l’instauration d’un régime d’autorisation optionnel.

L’AMF a reçu quatre-vingt-deux réponses à la consultation, dont vingt-deux émanant d’acteurs de l’économie numérique, dix-huit de particuliers, quinze de cabinets d’avocats, dix de professionnels de la finance, six d’universitaires, cinq d’investisseurs institutionnels, trois de banques et de leur instance représentative, deux d’infrastructures de marché et une d’une société cotée.

La grande majorité des réponses recueillies a permis de conclure que la piste de régulation visant à instaurer un visa d’autorisation optionnel était considérée « comme une solution équilibrée permettant une approche pragmatique des ICO ». Cette approche a pour vocation d’attirer en France les projets d’ICO de qualité et sérieux, sans brider les initiatives. Par l’élaboration d’une liste blanche, le label offre en effet un signal positif et un gage de respectabilité pour les investisseurs potentiels de l’ICO.

Ainsi les dispositions relatives au label optionnel proposé par l’AMF ont été intégrées à l’article 26 du projet de loi pour un plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE). Celui-ci définit le jeton comme « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits, pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ».

L’article clarifie en outre dans les grandes lignes les modalités par lesquelles les émetteurs de jeton pourront solliciter un visa auprès de l’AMF.

À ce titre, les porteurs de projet devront élaborer « un document destiné à donner toute information utile au public sur l’offre proposée et sur l’émetteur » afin que l’AMF vérifie si l’offre envisagée « présente les garanties exigées d’une offre destinée au public et notamment que l’émetteur des jetons :
– est constitué sous la forme d’une personne morale établie ou immatriculée en France ;
– met en place tout moyen permettant le suivi et la sauvegarde des actifs recueillis dans le cadre de l’offre ».

La future loi précise également que l’AMF sera en charge d’examiner « le document d’information, les projets de communications à caractère promotionnel destinées au public postérieurement à la délivrance du visa et les pièces justificatives des garanties apportées ». Elle pourra ainsi ordonner que soit mis fin à toute nouvelle souscription ou émission, ainsi qu’à toute communication à caractère promotionnel concernant l’offre et retirer son visa si « l’offre proposée au public n’est plus conforme au contenu du document d’information ou ne présente plus les garanties prévues » initialement. Le retrait du visa pourra être définitif ou temporaire, c’est-à-dire jusqu’à ce que les conditions d’obtention soient à nouveau remplies.

La mise en place d’un tel agrément optionnel présente des avantages pour l’ensemble des acteurs de l’écosystème. Il s’agit d’un dispositif innovant et précurseur qui contribuera à faire de la France une place incontournable des ICO. Satisfait de l’orientation ici proposée, le rapporteur estime cependant que ce cadre doit davantage être précisé dans la loi, ne laissant pas la définition de l’entièreté du dispositif au volet réglementaire. L’article dispose en effet que « les modalités de la demande de visa préalable, les pièces nécessaires à l’instruction du dossier et le contenu du document d’information » seront précisés par le règlement général de l’AMF.


Mieux informer les investisseurs et auditer les ICO



Le rapporteur considère que l’émission de jetons par ICO peut être considérée comme l’édiction d’un contrat, composé d’obligations contractuelles dont il s’agit aujourd’hui de définir le cadre, avec notamment, un renforcement des informations précontractuelles communiquées (caractéristiques des produits, informations sur les frais, énonciation des risques, garanties, responsabilités et rôles respectifs du client et du prestataire pour les transactions de crypto-actifs) et une obligation de reporting pour la labellisation.

Dans le cadre du projet de loi PACTE



Le projet de loi Pacte vise à poser les premiers jalons d’un encadrement des ICO. Il s’agissait notamment de répondre aux difficultés rencontrées par les jeunes pousses de la blockchain dans l’ouverture d’un compte bancaire. Grâce à l’élaboration d’une liste blanche, l’AMF certifiera que les émetteurs d’ICO et les intermédiaires en crypto-actifs labélisés respectent un certain nombre d’obligations. Le rapporteur soutient totalement cette démarche.

Cependant, tant que ce texte n’est pas définitivement adopté par le Parlement et que l’AMF n’aura pas établi de règlement clair en la matière, les émetteurs sont en théorie totalement libres du descriptif donné dans leur white paper. En conséquence, et au vu de l’engouement notable engendré par les ICO – y compris auprès de particuliers peu avertis – le degré de renseignements fournis aux futurs souscripteurs via ces documents sur le déroulé du projet peut sembler disparate, voire sommaire. Or, l’achat d’un jeton ne conférant à ce jour aucune garantie juridique, l’entité émettrice peut décider en toute liberté si et quand elle développera le projet.

De fait, dans le cadre de la labellisation proposée dans le projet de loi PACTE, le rapporteur préconise de faire évoluer l’article en ajoutant les éléments suivants :

Proposition 17 : Préciser le white paper en donnant des garanties aux investisseurs et au secteur institutionnel sans brider le développement des initiatives entrepreneuriales, en :
– précisant les informations à fournir à l’AMF dans le cadre de la sollicitation d’un agrément ;
– encadrant la relation contractuelle ;
– renforçant le suivi des opérations d’ICO ;
– encadrant la communication afin de protéger les investisseurs.

Bien que présenté dans le cadre du projet de loi PACTE, cet amendement n’a pas été retenu, relevant plutôt du domaine réglementaire. Aussi, le rapporteur recommande-t-il que celui-ci soit intégré dans le prochain règlement AMF.

Proposition 18 : Imposer que les offres réalisées sans le label contiennent un avertissement indiquant qu’elles n’ont pas reçu de visa et que l’opération présente des risques financiers.

À porter (2e lecture PACTE – 2019) : En effet, cela paraît opportun pour une meilleure information des investisseurs vulnérables – pour qui la consultation du site Internet de l’AMF n’est pas automatique avant de placer leurs fonds dans une ICO.

Proposition 19 : Permettre d’obtenir, a posteriori, le label AMF pour les ICO dont les jetons ont été émis avant la promulgation de la loi en respectant le cahier des charges.

À porter (2e lecture PACTE – 2019) : Les entreprises existantes doivent également pouvoir, pour celles qui le souhaitent, être évaluées et certifiées par l’Autorité des marchés financiers afin de bénéficier des avantages liés à l’obtention du label. Une rétroactivité sera également de nature à rassurer les investisseurs de ces ICO et partenaires bancaires potentiels qui ne manqueront pas de s’interroger si celles-ci ne figurent pas sur la liste blanche de l’AMF.

Proposition 20 : Fixer un délai d’instruction des dossiers de demande de visa optionnel.

À porter (2e lecture PACTE – 2019) : Les entreprises ont en effet besoin de clarté et de prévisibilité, notamment dans le démarrage de leur activité qui est déjà empreint de risques et d’obstacles. À ce titre, sans remettre en cause l’investissement des équipes de l’AMF qui ont fait preuve de beaucoup de professionnalisme et d’objectivité vis-à-vis du secteur de la blockchain, le rapporteur estime qu’il serait nécessaire que les entreprises puissent prévoir le délai maximal d’instruction de leur dossier. En cas de report de traitement, un justificatif pourra ainsi être fourni à l’entrepreneur afin qu’il puisse au besoin, ajuster la situation permettant de clore son dossier.

Vers un rôle élargi de l’Autorité des marchés financiers



En outre, en l’état actuel, le visa optionnel de l’AMF n’aurait pas pour conséquence de confier à cette dernière le soin de se prononcer sur la qualité des projets ou des technologies sous-jacentes. Pourtant au regard du nombre de scams (arnaques) répertoriés avec l’émergence des ICO, il semble nécessaire de s’assurer avant l’octroi d’un « passeport de confiance », de l’adéquation du white paper avec le code du smart contrat visant à réaliser l’ICO.

Le rapporteur s’interroge sur l’opportunité d’une analyse plus approfondie de la part de l’AMF, qui irait au-delà de l’examen des documents d’information élaborés par les émetteurs de jetons en amont de leur offre (white paper) et des garanties apportées. Il pourrait être pertinent de :

Proposition 21 : Instaurer une étude technique ou scientifique de la réalité du projet adossée à l’offre au public de jetons.

Celle-ci pourrait être déléguée par l’AMF auprès d’experts reconnus pour leurs compétences. Une vérification des modalités d’attribution des jetons pourrait également être mise en place, afin de garantir l’information voire l’égalité de traitement entre les souscripteurs.

Cette extension de l’analyse de l’AMF devrait conforter les ICO comme une alternative crédible au financement classique des entreprises innovantes. Il convient de légitimer ce nouveau mode de financement afin d’assurer sa pérennité en lien avec le développement des technologies blockchain et l’essor des crypto-actifs.

Encadrement de la publicité



Comme évoqué antérieurement, Facebook a interdit la publicité́ pour crypto-actifs et contenus associés dès janvier 2018. Au mois de mars, c’était au tour de la plateforme Google d’en annoncer l’interdiction à compter du mois de juin. Cela concernait également les produits financiers risqués comme les « options binaires », les « contracts for difference » ou les places de marché permettant de spéculer sur les devises. Ces interdictions ont néanmoins pu être contournées par les acteurs, qui utilisaient parfois des mots mal orthographiés dans leurs publicités.

En France, le débat relatif à l’encadrement de la publicité liée aux crypto-actifs n’est pas tranché. Nous devons poursuivre un objectif double : protéger les investisseurs, notamment les plus vulnérables, en encadrant mieux les actions de promoteurs (émetteurs d’ICO et plateformes) qui peuvent orienter et biaiser le choix des investisseurs en diffusant des informations erronées, mais veiller à ne pas brider le développement de l’activité.

Du point de vue du rapporteur, le contexte d’extraterritorialité dans lequel évoluent les crypto-actifs rend difficile – voire impossible – une interdiction stricte des contenus publicitaires sur Internet. L’une des questions qui se pose porte notamment sur la preuve juridique que la publicité est effectuée en France, notamment lorsque l’annonceur se trouve à l’étranger, ce qui pose des difficultés en termes de droit applicable.

Par ailleurs, afin d’assurer le succès de leur ICO, les émetteurs doivent procéder à une communication marketing de plus en plus importante. La leur interdire conduirait implicitement à une disparition des ICO françaises.

À ce titre, il semble qu’une proscription de la publicité constituerait à la fois un signal politique négatif envoyé à l’écosystème et une mesure inefficace pour la protection des investisseurs.

Il n’en reste pas moins qu’en vertu du régime d’intermédiation en biens divers – prévu par la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (loi « Sapin II ») – l’AMF sera en capacité de demander la fermeture d’une plateforme frauduleuse auprès du tribunal de grande instance (TGI) de Paris, l’exposant ainsi à des sanctions pénales. Sans que cela ne s’applique aux ICO, l’AMF a d’ailleurs banni en février 2018 les publicités sur dérivés en crypto-actifs.

Réglementation des Security Token Offerings



Il paraît difficilement envisageable pour les institutions publiques qu’un actif ayant les caractéristiques d’un titre financier soit traité différemment en termes d’exigences. Il s’agit pourtant d’un enjeu tout à fait stratégique au regard des perspectives énoncées pour le développement de la technologie.

En effet, de nombreux pays encadrent de manière stricte les titres financiers. Lorsque ceux-ci ont tranché vis-à-vis des tokens qui s’y apparentent comme c’est le cas aux États-Unis avec le Howey test, il en résulte une forme de fuite des porteurs de projets. À ce titre, il n’est pas rare que des émetteurs excluent les ressortissants américains et chinois de leurs opérations d’ICO, de crainte de se voir assujettis au droit national de ces pays.

Néanmoins du fait de leur taille et de leur poids économique, les deux marchés évoqués ont une forte capacité de résilience. À réglementation égale, un entrepreneur choisira donc certainement de s’établir sur le plus porteur d’opportunités économiques. À titre d’exemple, le marché de l’art est un secteur d’avenir en termes de tokenisation sur lequel la France a, de toute évidence, une place à prendre. Cependant en imposant des obligations administratives lourdes telles que celles prévues par la réglementation dite « Prospectus », nous prenons le risque qu’une jeune entreprise émettant des security tokens dans le domaine choisisse comparativement de s’établir aux États-Unis, dont la réglementation est aussi lourde, mais qui représentent le premier marché de l’art avec 30 % de parts de marché. En effet, la sollicitation d’un visa prospectus auprès de l’AMF semble inadaptée à une entreprise en lancement qui n’a pas la capacité de fournir tous les documents demandés, ainsi qu’au secteur des crypto-actifs en lui-même.

À ce titre, le rapporteur estime qu’il sera nécessaire, voire urgent :

Proposition 22 : Envisager un aménagement de la directive prospectus pour les start-up, afin de prendre en considération des paramètres tels que la taille et les revenus de l’entreprise.

À porter (2019) : Une gradation des justificatifs et obligations demandés pourrait à ce titre davantage correspondre à la réalité des entreprises.

L’émergence des security tokens est annoncée. L’élaboration d’un dispositif en la matière dans les prochains mois permettrait réellement à la France de prendre l’avantage sur la vision réglementaire au niveau international. Dans un contexte d’innovation constante et rapide, les pouvoirs publics doivent s’adapter en étant agiles et réactifs.


Des intermédiaires encore peu régulés en proie à des failles et à des manipulations



Jonction principale avec l’économie réelle, proposant des services de conversion de crypto-actifs mais aussi de conservation de fonds, de paiement, de transaction et même d’émission d’actifs numériques, les plateformes s’assimilent parfois à de véritables acteurs bancaires suscitant la convoitise des pirates du web.

Failles de sécurité sur les plateformes



À ce titre, il s’avère que près des trois quarts des pertes en crypto-actifs entre 2011 et 2018 ont eu lieu sur des plateformes, qui sont davantage ciblées lorsqu’elles conservent les clés privées des utilisateurs sur un dispositif de stockage en ligne (hot storage). Toutefois, selon l’étude menée en 2017 par l’université de Cambridge, seuls 8 % des plateformes déclarent n’utiliser aucune forme de stockage hors ligne (cold storage).

Ainsi, la plateforme MtGox a fait l’objet d’une faillite a priori frauduleuse en février 2014 au Japon, avec la disparition de 850 000 bitcoins représentant environ 480 millions de dollars. En août 2016, Bitfinex a été victime d’un piratage informatique impliquant environ 72 millions de dollars. En janvier 2018, la plateforme d’échanges Coincheck a été victime d’un piratage massif occasionnant la perte d’environ 530 millions de dollars.

Cette problématique de sécurité a abouti à la fermeture de près d’une plateforme sur deux en 10 ans, comme en fait état le rapport de Jean-Pierre Landau. Les plateformes de petites tailles sont plus vulnérables à ce type d’attaques. À ce titre, les études récentes montrent qu’afin de pallier cette relative fragilité, elles dédient une part plus significative de leurs équipes à la sécurité que les grandes plateformes, qui ont davantage tendance à externaliser cette activité.

En outre, les plateformes procèdent épisodiquement à l’interruption temporaire et parfois abusive de leurs services, par exemple afin de contrôler une haute volatilité des cours sous couvert de problèmes techniques.

En l’absence de régulation ou de supervision, aucune autorité ne veille à la mise en place des conditions nécessaires pour garantir la sécurité des systèmes informatiques, tels que les portefeuilles électroniques. Ainsi, face à des services clients parfois peu réactifs, les détenteurs de crypto-actifs peuvent à ce jour se trouver dépourvus de recours en cas de vol de leurs avoirs.

À titre d’exemple, entre avril 2017 et mars 2018, le Bureau américain de protection des consommateurs (CFPB) enregistrait à ce titre 1 300 plaintes contre la seule plateforme Coinbase, dont 37 % concernaient l’indisponibilité des fonds de l’utilisateur, 26 % des problèmes de transaction, 15 % des problèmes de services et 13 % des problèmes de fraude et d’escroquerie.

Une absence d’encadrement suscitant un manque d’intégrité du marché secondaire…



En termes d’intégrité, le marché secondaire n’est actuellement soumis à aucune règle d’organisation, garantissant sa liquidité, sa transparence ou sa sécurité. Une certaine opacité, alliée à la volatilité des cours peuvent être source d’abus de marché.

Comme le note Jean-Pierre Landau dans son rapport, rares sont les plateformes qui publient leur bilan. À ce titre, il n’est pas possible d’estimer le nombre qui entretiennent des comptes réciproques, ni d’estimer si les dépôts des utilisateurs en crypto-actifs ou en euros ont bien une contrepartie sur la blockchain lorsque la plateforme conserve les fonds. Cela fait peser un risque de liquidité et de solvabilité de la plateforme.

Lors des auditions menées par la mission, il a été rapporté que certaines plateformes avaient jusqu’à 80 % de leur volume de transaction falsifié. Les pratiques de manipulation des cours sur le marché secondaire sont de diverses natures et ont toutes pour objectif un enrichissement au détriment des autres utilisateurs :

– le wash trading : opération visant à acheter et à vendre simultanément le même crypto-actif afin de dépeindre un faux engouement du marché pour ledit actif et d’inciter d’autres acheteurs à se positionner dessus ;

– le cross trading : pratique d’achat et de vente d’un même actif sans que la transaction n’apparaisse sur la plateforme. Dans le cadre d’une activité de teneur de marché, le broker peut ainsi rapprocher l’ordre d’achat et l’ordre de vente de ses clients et fixer le prix de la transaction sans toutefois passer par la blockchain ;

– le spoof trading : pratique visant à offrir un actif à la vente ou à l’achat dans l’intention d’annuler l’ordre juste avant qu’il ne soit exécuté afin de dépeindre une fausse dynamique de marché, de faire foi de liquidité et d’obtenir un mouvement favorable des prix ;

– le front running : technique consistant, pour un broker, à tirer parti de la fluctuation des cours engendrée par l’exécution de l’ordre d’un de ses clients. Il peut par exemple exécuter plusieurs petits ordres d’achats pour son compte propre juste avant d’exécuter un ordre important pour son client qui ferait prendre de la valeur à l’actif, générant ainsi une plus-value intéressante ;

– le sell wall : pratique visant à placer à un prix spécifique un grand nombre d’ordres de vente (ou un seul ordre important) sur un actif donné, incitant les autres investisseurs à vendre leurs actifs tout en les empêchant de le faire à un prix supérieur à celui indiqué par le « mur » sur l’order book de la plateforme. Un gros investisseur ou groupe d’investisseurs (whale) ayant obtenu une information positive vis-à-vis d’un actif donné en amont du marché peut utiliser cette technique afin de faire baisser le prix de l’actif donné et d’en dégager un gain important une fois l’annonce rendue publique ;




– le dark pool : pratique visant à permettre à des whales, notamment des investisseurs institutionnels, d’effectuer des transactions anonymes entre eux sur une plateforme, c’est-à-dire sans qu’elles ne soient visibles par le reste du marché. La tendance du marché n’est à ce titre pas modifiée comme elle pourrait l’être par la publication d’un grand nombre d’opérations tandis que ces dernières apportent de la liquidité à la plateforme. Cette pratique peut engendrer une chute brutale des cours en cas de révélation desdites transactions ;

– le pump-and-dump : pratique consistant à ce qu’un petit groupe de fraudeurs gonfle artificiellement le cours d’un actif en en achetant des quantités significatives afin de déclencher chez les autres investisseurs un « Fear of Missing Out » (FOMO ou « La peur de rater quelque chose »), pour ensuite revendre à un prix élevé et dégager une plus-value importante sur les crypto-actifs préalablement achetés à peu cher.

Le Wall Street Journal a réalisé une étude sur le pump-and-dump indiquant que des groupes constitués via les applications de messageries cryptées telles que Telegram et Discord auraient réalisé des manipulations de ce type pour un montant équivalent à un milliard de dollars.




Plusieurs plateformes se sont, par ailleurs, révélées être des montages de Ponzi, c’est-à-dire des structures dans lesquelles les nouveaux entrants financent la rente des anciens.

La plupart des pratiques de manipulation évoquées ci-dessus existent sur les marchés financiers traditionnels. Leur essor peut cependant être limité par la réglementation existante. Par exemple dans le cadre d’un pump-and-dump, l’identification par les autorités des fraudeurs est facilitée par les obligations de KYC. Cette technique se fait donc relativement rare sur les marchés classiques.

… en faveur de plateformes étrangères



Nous sommes donc confrontés à un enjeu de régulation des interfaces entre la blockchain et l’économie réelle. Cependant, dans ce secteur, les plateformes ainsi que les autres intermédiaires de marché exercent une activité extraterritoriale. Nous ne pourrons donc espérer imposer notre vision réglementaire que par le développement de grands acteurs dont le siège social sera établi en France. De la construction de ce pouvoir économique dépendront également nos marges de négociation auprès de nos partenaires étrangers.

À ce titre, il s’avère nécessaire d’être extrêmement vigilant au fait que cinq pays concentrent 90 % du volume d’échanges sur les plateformes en crypto-actifs. En janvier 2019 le quinté de tête était représenté par la Corée du Sud, et Singapour, Malte, Hong Kong et le Royaume-Uni ; les États-Unis et le Japon ayant été déclassés ces derniers mois. Ces évolutions rapides dans l’attrait des pays dans le volume des échanges en crypto-actifs sont intimement liées à la réglementation en vigueur, les plateformes se déplaçant au gré de la régulation la plus favorable. Notre attractivité en la matière dépendra donc de notre capacité à légiférer favorablement au développement du secteur sur le territoire.

Or, la France ne compte pour l’instant qu’une seule plateforme, Paymium. Pierre Noizat, son dirigeant, nous affirmait début décembre constater un volume d’échanges journaliers oscillant entre 1 et 20 BTC, soit entre 5 000 et 100 000 euros avec un cours du bitcoin à 5 000 euros. Un volume relativement faible par rapport aux 4 milliards d’euros échangés à l’échelle mondiale.


Mieux encadrer les intermédiaires



Il semble illusoire d’imaginer faire valoir la réglementation française à des systèmes de fonctionnement toujours plus internationaux et décentralisés. Le fait que la France puisse faire émerger des plateformes de change et autres intermédiaires forts constitue à ce titre un enjeu de souveraineté réel face à la concurrence réglementaire internationale.

Afin d’encourager la croissance d’un écosystème français et que prochainement puisse être exploité le potentiel de cette technologie en termes de nouveaux usages, de compétitivité, de création de valeur et d’emploi, il est impératif de veiller à ce qu’il se développe dans les meilleures conditions possibles. Il s’agit donc pour le législateur de déployer un cadre réglementaire incitatif, qui permette la démultiplication d’initiatives entrepreneuriales tout en s’assurant de protéger strictement les investisseurs par la promotion d’un marché dont le fonctionnement est viable.

L’article 26 du projet de loi Pacte ne prévoyait initialement de n’encadrer que les Initial Coin Offerings. Cependant les auditions menées ont révélé une volonté des acteurs intermédiaires en crypto-actifs d’asseoir leur légitimité par la clarification de la réglementation encadrant leur activité.

Aussi, le rapporteur a-t-il préconisé de :

Proposition 23 : Mettre en place un visa optionnel différencié par type d’activité pour les prestataires de services en crypto-actifs.

Avancée 2018 : Le concours de plusieurs parlementaires a permis d’ajouter ce dispositif relatif aux « prestataires de services sur actifs numériques », dans le projet de loi PACTE.

L’article aura ainsi permis de définir dans la loi, cinq types de prestataires :
– le service de conservation pour le compte de tiers d’actifs numériques ou de clés cryptographiques privées, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques ;
– le service d’achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal ;
– le service d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques ;
– l’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques ;
– les services autres services (la réception et la transmission d’ordres pour le compte de tiers ; la gestion de portefeuille ; le conseil aux souscripteurs ; la prise ferme d’actifs numériques ; les placements garantis et non garantis d’actifs numériques).

Antérieurement, une plateforme exerçant une activité de conservation de crypto-actifs qui, dans le même temps, offrait des services d’investissement, devait solliciter deux agréments distincts :
– celui de prestataire de services de paiement au titre de la directive « DSP 2 » ;
– celui de prestataire de services d’investissement au titre de la directive « MiFID 2 ».

En 2018, s’est ajoutée à ces deux agréments une procédure d’immatriculation dans le cadre de la cinquième directive anti-blanchiment (UE) 2018/843.

Désormais, au même titre que les émetteurs d’ICO, un prestataire pourra solliciter auprès de l’AMF un visa optionnel certifiant de la respectabilité de son entité. Celui-ci sera délivré en contrepartie du respect d’obligations différenciées selon le type d’activité exercée afin d’en garantir l’applicabilité pour les acteurs. Ainsi, un prestataire proposant plusieurs des services définis dans la future loi pourra s’adresser à un guichet unique et y solliciter un agrément regroupant l’ensemble de ses activités. Il s’agit à ce titre d’une mesure de simplification notable des démarches à effectuer pour ces entreprises.

En parallèle de ce visa optionnel, il a paru indispensable d’harmoniser les normes de lutte contre le blanchiment d’argent et de financement du terrorisme en transposant dès aujourd’hui en droit national, la directive européenne (UE) 2018/843 du 30 mai 2018. Cette dernière étend le champ d’application des obligations LCB-FT aux prestataires de services d’échange entre crypto-actifs et monnaies légales ainsi qu’aux prestataires de services de portefeuilles de conservation. Ceux-ci auront donc un socle d’exigences obligatoires à remplir qu’ils pourront, s’ils le souhaitent, compléter d’un visa spécifique à leur activité.

Ainsi le rapporteur considère que l’instauration d’un statut de prestataire de services en crypto-actifs, optionnel, est une solution équilibrée visant à inciter les acteurs vertueux à demander l’agrément auprès de l’AMF. Cela suscitera en effet un signal positif à l’égard des potentiels utilisateurs ou clients, compte tenu des garanties notamment de solidité financière, ou de gouvernance. Parallèlement, cette solution permettra de ne pas contraindre à l’excès les prestataires fournissant de manière habituelle des services à des utilisateurs établis en France. Ce dispositif est de nature à renforcer l’attractivité de la France, en proposant des solutions sécurisées et encadrées tout en conservant une certaine souplesse dans l’application de la réglementation.

Toutefois, le rapporteur tient à souligner qu’il s’agira de veiller à ce que soient explicitement exclus de cette réglementation les prestataires tels que l’entreprise française Ledger, qui fournissent une solution technique de stockage de clés privées (« hardware wallet » ou fournisseur de portefeuilles matériels) mais qui ne détiennent pas les fonds pour le compte de leurs clients. À ce titre, la notion de « service de conservation » peut prêter à confusion.

Proposition 24 : Clarifier au sein du décret prévu par la future loi relative à la définition des services sur actifs numériques, que les services de conservation excluent les fournisseurs de solutions de self-custody.

À porter (2e lecture PACTE – 2019) : Sans cela, les prestataires de type hardware wallets ne sauraient remplir la totalité des obligations imposées à juste titre à d’autres types de services de conservation tels que les plateformes.

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